Éteint dans des conditions jusqu’ici non élucidées à son domicile sis à Sirakoro, le corps de Binaba Coulibaly, alors chef du centre technique n°2 de Moov Africa Mali, marié et père de quatre enfants, est, depuis 19 mois, en conservation dans une morgue de Bamako.
De la date du constat de son extinction, le 17 septembre 2023, à ce jour, ni les autopsies, ni la procédure judiciaire, ni les enquêtes de la police scientifique qui ont suivi n’ont permis de définitivement situer sa famille sur le sort à réserver à son corps. Lassés, ses aînés, Adama et Nana, sont à la fois anxieux et dans un état émotionnel partagé entre la colère et l’incompréhension.
Dans une lettre ouverte qu’il a bien voulu voir être publiée dans Le Soft, Adama saisit le Chef de l’État pour, dit-il, solliciter « une écoute bienveillante » et une « action diligente ».
Les faits rapportés par les deux aînés du défunt
Tels que relatés par les deux membres de la famille Coulibaly, non moins aînés de feu Binaba, les faits remontent à l’après-midi du dimanche 17 septembre 2023. D’une chambre au rez-de-chaussée, la sœur aînée, Nanakadia Coulibaly, entend des cris provenant du premier étage du duplex de son frère.
Apeurée, elle arpente les escaliers jusqu’au premier niveau où elle aperçoit, au balcon, l’épouse de son frère en pleurs, à côté de deux adultes postés devant la porte de la chambre où gît ce dernier, inerte à même le sol.
À sa question de savoir ce qui se passe, Nanakadia apprend « des trois personnes en présence », selon sa propre expression, que son frère s’est « suicidé ». Stupéfaite, elle réplique par la négative :
« Non, Binaba ne peut pas se suicider, je viens à peine d’échanger avec lui au rez-de-chaussée. »
Subséquemment, la sœur dit avoir tenté de pénétrer dans la chambre où, dans le sang, gît le corps de son cadet, le benjamin de leur famille. L’un des hommes à la porte, « des amis du défunt », censés être de simples visiteurs, « m’a empêchée d’accéder à la chambre et au corps de mon frère, sous prétexte qu’il a fait appel à la protection civile », explique Nanakadia.
Un autre membre de la famille du défunt raconte des faits passés vingt-quatre heures avant le drame. Le vendredi 15 septembre, alors que Binaba avait l’habitude de venir chercher son épouse dans la grande famille pour rejoindre leur domicile de Sirakoro-Méguétana, il est resté injoignable jusqu’aux environs de 2 heures du matin.
C’est à cette heure qu’un de ses collègues vient chercher celle qui, dans la tradition musulmane malienne, est leur épouse. Mais Nanakadia, qui était présente, refuse de laisser l’épouse seule aller avec le collègue de Binaba, toujours injoignable. Elle s’engouffre également à bord de la berline pour le domicile de son frère.
Le samedi 16 septembre 2023, Nanakadia, qui occupait provisoirement une chambre au rez-de-chaussée du bâtiment depuis cette nuit en attendant l’arrivée de son frère cadet, s’en souvient : elle soutient l’avoir vu rentrer vers 6 heures du matin.
Or, pour le reste de la journée du samedi, le frère censé se reposer et sa sœur ne se verront pas, même si vers 19 heures, elle affirme avoir demandé à l’épouse de le réveiller pour qu’il accomplisse ses prières du crépuscule. Ils ne se reverront que le lendemain, dimanche.
Cependant, l’épouse de Binaba avait, selon Nanakadia, annoncé l’arrivée de deux amis de son époux pour passer la journée en famille. La grande sœur postule, pour étayer son raisonnement selon lequel « Binaba ne donnait aucune impression d’être déprimé ». Elle ajoute qu’il avait même l’intention d’aller s’acheter des ampoules pour dépanner l’éclairage de son salon.
Le dimanche, après une séance de causerie à deux, la sœur aînée affirme avoir vu son cadet monter à l’étage pour se reposer, sans donner l’impression d’être inquiété par quelque souci, « à part son projet d’acquérir une voiture pour son épouse, qui le tenait à cœur », ajoute-t-elle.
Peu après, entre 11 h 30 et midi, c’est de sa chambre que Nanakadia dit avoir entendu des salamalecs dans la concession, sans sortir la tête. S’agit-il de l’arrivée des amis annoncés 24 heures plus tôt ? Elle soutient ne pas les avoir vus entrer.
Toutefois, c’est vers 13 h 50 qu’elle entend des cris à l’étage.
Autre détail : un fusil de chasse hérité du patriarche de la famille Coulibaly, un ancien commissaire de police, a été retrouvé à côté du défunt. Nanakadia dit se rappeler que l’épouse de son frère, qui criait dans les premières minutes du drame, lui a dit que c’est de ce fusil que le défunt s’est servi pour mettre fin à ses jours. Ce qu’elle rejette en bloc sur le feu de l’action.
C’est le début d’une affaire sensible, qui se trouve, depuis le début, en instruction dans le bureau d’un juge du tribunal de grande instance de la commune VI du district de Bamako.
Précisions : Le Soft, qui a été saisi pour la publication de la lettre ouverte (ci-dessous), n’a ni l’intérêt ni l’intention de reconstituer ou de dénaturer les faits, ou d’accuser, ou encore de charger qui que ce soit. L’objet de ce récit introductif est d’aider nos lecteurs à comprendre les raisons qui ont poussé le frère aîné de feu Binaba Coulibaly à adresser cette lettre ouverte dont la teneur suit, au Président de la Transition, Chef de l’État.
Issiaka Tamboura
Lettre à monsieur Assimi Goita, président de la Transition
Objet : Plaidoyer pour la manifestation de la vérité et le respect du droit au repos éternel de feu Binaba COULIBALY
Monsieur le Président de la Transition,
Permettez qu’en ma qualité de frère de feu Binaba COULIBALY, agent à Moov Malitel dont la dépouille a été découverte chez lui par sa femme et « deux de ses amis » le 17 septembre 2023, je vous adresse cette lettre ouverte, empreinte de respect, de douleur mais aussi d’espoir, dans l’unique but d’attirer votre attention sur une situation humaine et judiciaire d’une gravité certaine, touchant non seulement notre famille, mais plus fondamentalement, les principes élémentaires de justice et de dignité humaine, et surtout le droit des dépouilles humaines.
Depuis plus de quinze mois, la dépouille de notre frère repose dans une chambre froide, en attente d’un processus judiciaire que nous respectons, mais dont la lenteur suscite chez nous une profonde incompréhension. Car au-delà de l’émotion familiale, il s’agit ici d’un droit fondamental : celui du défunt à accéder à son repos éternel dans la dignité, principe que consacre notre humanité partagée et que protègent tant les traditions que les normes administratives, morales, religieuses et juridiques.
Nous comprenons parfaitement que l’affaire puisse nécessiter des investigations approfondies. Toutefois, le délai écoulé et l’absence de communication sur l’état d’avancement du dossier posent aujourd’hui de sérieuses questions sur le respect du juste équilibre entre la nécessité de faire la lumière sur les faits et le droit de la dépouille à ne pas être maintenue indéfiniment dans l’attente de son inhumation.
Monsieur le Président de la Transition,
Nous sommes, en tant que citoyens, profondément attachés au principe d’indépendance de la justice. Nous ne remettons nullement en cause ce fondement essentiel de notre État de droit. Notre démarche ne vise ni à désigner des coupables, ni à remettre en cause le travail des services judiciaires, mais à solliciter une écoute bienveillante et une action diligente pour permettre à cette affaire d’évoluer dans un esprit de justice équitable.
Depuis le jour du drame, plusieurs membres de la famille biologique ont tenté de faire entendre leurs témoignages, chose qui a été faite le mois passé seulement. L’une de nos sœurs, présente au domicile du défunt, demeure à ce jour un témoin central dont la version complète des faits n’a, à notre connaissance, été recueillie officiellement par la justice. Elle a, au moment des faits, fait connaître sa version via un média social local.
Nous estimons que cette omission contribue à entretenir des zones d’ombre que seule une instruction complète et équilibrée pourrait lever.
Nous regrettons également que des décisions importantes aient été prises dans les premières heures ayant suivi le décès, sans consultation de la famille biologique, par les deux amis et la femme du défunt, à savoir l’enlèvement de la dépouille par les soins d’un corbillard pour une destination inconnue. Ces deux personnes présentes ce jour-là, dont l’un a servi jusqu’à une date récente comme conseiller dans une Institution de la République, nous sont inconnues et auraient été appelées par la femme du défunt pour lui parler, alors que sa grande sœur de lait était présente.
Chez lui depuis deux jours.
Nous n’émettons ici aucun jugement de valeur sur leur bonne foi, mais nous nous interrogeons sur leur légitimité à agir dans un moment aussi sensible, en l’absence des proches du défunt.
Nous tenons à rappeler que la famille ne s’est jamais opposée à la conduite d’une enquête sérieuse. Bien au contraire, elle a multiplié les démarches – par l’intermédiaire de son conseil – pour que toutes les diligences soient faites dans le respect des normes de procédure. L’objectif a toujours été le même : connaître la vérité, et permettre à notre frère d’être inhumé en paix.
Monsieur le Président de la Transition,
Nous avons bien conscience des contraintes auxquelles est confrontée l’institution judiciaire. Nous respectons le rythme propre à toute procédure d’instruction. Toutefois, nous sommes en droit d’espérer que les principes de célérité et d’équité soient appliqués avec humanité lorsqu’une dépouille est en jeu. Le maintien prolongé d’une dépouille humaine, sans inhumation, est une situation moralement éprouvante, religieusement inadmissible, humainement, juridiquement et administrativement, voire difficilement défendable.
Nous sollicitons, avec tout le respect dû à Votre Haute Fonction, que vous examiniez la situation de ce dossier sous l’angle du droit fondamental au repos éternel, et que vous envisagiez, dans la limite de vos prérogatives, d’intercéder auprès de l’autorité compétente – en l’occurrence Monsieur le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux – afin qu’une inspection ou une évaluation soit diligentée sur la conduite de cette instruction. Cela permettrait de garantir à la fois les droits du défunt, la sérénité de sa famille, et la confiance des citoyens dans l’impartialité de notre justice, que nous respectons et derrière laquelle nous sommes restés jusqu’ici.
Notre frère, feu Binaba COULIBALY, était un homme apprécié pour sa rigueur dans le travail. Il a servi avec loyauté son employeur qui l’a à plusieurs reprises récompensé. Son décès, survenu dans des circonstances non encore élucidées, ne devrait pas être suivi d’un silence ou d’une lenteur judiciaire. Il mérite la vérité. Il mérite la dignité. Il mérite le repos.
En espérant que cette lettre retienne toute votre attention et qu’elle contribue à relancer une dynamique respectueuse de la mémoire du défunt, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la Transition, l’expression de ma très haute considération.
Fait à Bamako, le 24 avril 2025
Monsieur Adama COULIBALY
(frère de lait de Binaba Coulibaly)
Au nom de la famille biologique de feu Binaba COULIBALY
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