Depuis plusieurs mois, le débat national est dominé par une question cruciale : comment réformer le multipartisme malien pour répondre aux aspirations profondes des citoyens ? L’exigence de cette réforme existe depuis 1997 sans jamais avoir connu de solution pérenne.
Actuellement, la reprise du débat divise profondément. D’un côté, des partis politiques proposent comme solution la réduction de leur nombre tandis qu’une large part de l’opinion publique exige, au-delà de cela, un changement radical, nommé avec force « dissolution des partis ». Il faut dire que notre forme actuelle de multipartisme, si elle n’est pas seule responsable des maux de l’État, a favorisé népotisme, clientélisme et corruption, en désorientant le pays. Ce constat partagé exige des solutions audacieuses pour refonder notre système politique.
Sur le sujet, parmi mes propositions de réforme de la Charte des partis politiques, la mesure centrale vise à modifier son article 59. Il s’agirait de déclarer caducs les récépissés de création des partis antérieurs à l’adoption de la nouvelle Charte. Cette mesure, combinée à d’autres réformes sur le fonctionnement et les conditions d’exercice des partis, provoquerait un renouvellement profond du multipartisme. Tout individu ou groupe souhaitant créer ou recréer un parti pourrait alors le faire en respectant de nouvelles règles, conformément aux libertés fondamentales d’association, d’expression, de pensée et de réunion garanties par la Constitution malienne.
Certains soutiennent que rendre caducs les récépissés serait inconstitutionnel, invoquant l’article 185 de la Constitution (« le multipartisme n’est pas susceptible de révision ») et l’article 2 du Code civil, qui consacre la non-rétroactivité des lois (« la loi dispose pour l’avenir »). Cet argument, bien que sérieux, méconnaît des principes fondamentaux du droit constitutionnel, particulièrement dans le contexte de l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2023. Dans cet essai, nous démontrerons en deux temps la pertinence de cette réforme. D’abord, nous établirons que la caducité des récépissés est non seulement conforme à la Constitution, mais fidèle à son esprit. Rien donc d’ « illégal ». Ensuite, nous explorerons la source de cet esprit constitutionnel.
Une mesure ancrée dans le Préambule de 2023
En droit constitutionnel malien, l’interprétation des lois s’appuie sur le « bloc de constitutionnalité », c’est-à-dire l’ensemble des textes et des principes ayant une valeur constitutionnelle. Au Mali, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle reconnaît cette valeur non seulement aux articles, mais aussi au Préambule. Et avec l’adoption de la nouvelle Constitution en 2023, ignorer ce tout nouveau Préambule dans l’évaluation de la constitutionnalité d’une réforme serait une erreur.
Ce Préambule reflète la volonté souveraine du peuple malien. Il souligne :
- « La crise multidimensionnelle récurrente qui affecte l’État et la société » ;
- « La nécessité de promouvoir le vivre-ensemble et la réconciliation nationale » ;
- « La volonté de renforcer les acquis démocratiques de la révolution du 26 mars 1991 et de promouvoir les idéaux de REFONDATION » ;
- « L’engagement à lutter contre la corruption, l’enrichissement illicite et à promouvoir la bonne gouvernance ».
Ces bases exigent que toute interprétation constitutionnelle, y compris celle de l’article 185, s’aligne avant tout sur l’objectif de « refondation » du pays. Ce terme n’implique pas une simple réforme du nombre des partis, mais une reconstruction profonde du système politique, y compris du multipartisme, dont les dérives ont clairement alimenté les crises. Dès lors, opposer la non-rétroactivité, issue du droit civil, ou une sécurité juridique héritée d’une Constitution de 1992, à une réforme visant à refonder le multipartisme est juridiquement discutable. La Constitution de 2023, souveraine, place la refondation au cœur de la réponse aux crises récurrentes et se situe donc au-dessus de tout texte inférieur passé. Ce n’est donc qu’à partir du renouvellement « refondateur » du multipartisme que la non-rétroactivité s’appliquerait à tout acte postérieur.
Une interprétation progressiste au service de l’intérêt général
Dans les faits, la caducité des récépissés ne supprime pas le multipartisme, mais le renouvelle en imposant à tous les partis de se conformer à des règles modernisées conformes à la volonté de refondation du Peuple. Par ailleurs, contrairement à la seule réduction du nombre des partis, notre mesure permet au Malien d’avoir le sentiment de reconstruire un tout nouveau multipartisme sur une base défaite d’a priori. Cela respecte l’esprit et la lettre de la Constitution, qui appelle à repenser les fondements de l’État et à promouvoir notre vivre-ensemble largement compromis par la défiance du citoyen face à la chose politique.
Si la Cour constitutionnelle suit sa jurisprudence, une lecture progressiste du Préambule devrait donc valider la conformité de cette réforme, dès lors qu’elle vise à promouvoir l’intérêt général refondateur.
Les craintes d’une « disparition » du multipartisme reposent sur des spéculations et non sur des faits. Rien n’empêche les partis de se reformer sous une nouvelle Charte, et la liberté d’association et le multipartisme restent intacts puisque consacrés par la Constitution de 2023. Même un référendum ne peut plus éliminer le multipartisme. Si l’exécutif et le législateur portent donc cette réforme, il y a de fortes chances que la Cour n’y voit pas d’inconstitutionnalité, tant elle s’inscrit dans la vision de 2023.
Des réformes complémentaires pour un multipartisme sain
La caducité des récépissés, bien que centrale, doit s’accompagner d’autres mesures pour un multipartisme plus sain :
- Projet de société : Exiger un projet de société distinct pour chaque parti, inclus dans les dossiers de création, pour éviter les dépôts de Statuts et Règlement intérieur génériques tout en encourageant une véritable vision politique.
- Transparence du financement : Renforcer les règles sur l’origine et l’utilisation des fonds des partis, avec des audits réguliers pour lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance interne.
- Lutte contre le nomadisme politique : Introduire des sanctions pour les élus changeant de parti en cours de mandat, préservant la cohérence des engagements électoraux.
- Précision du statut de l’opposition : Maintenir que celui qui disposant du plus grand nombre de députés élus en soit le Chef mais réformer son fonctionnement et ses moyens.
- Interdiction de certains noms, slogans et symboles des partis antérieurs à la nouvelle Charte : l’exemple du Ghana est important à retenir. Lors des réformes politiques de 1992, Rawlings avait procédé à un renouvellement complet du multipartisme ghanéen en interdisant ce qui pouvait faire resurgir des divisions profondes au sein de la société.
- Révision du financement public : Sur les 0,25 % des recettes fiscales allouées aux partis, consacrer 0,15 % à une « École politique » gérée par un conseil d’administration mixte (État et partis). Cette école formerait les militants, et la participation à ses programmes deviendrait une condition supplémentaire pour accéder aux 0,10 % restants. De plus, le financement public devrait être réservé aux partis ayant obtenu des élus (députés ou conseillers communaux), éliminant les partis « fantômes ».
Ces réformes, inspirées par des modèles comme le Ghana post-1992, visent à promouvoir une culture politique responsable et à restaurer la confiance des Maliens. Un malien voyant ces nouvelles bases serait plus enclines à jouer son rôle dans le système.
L’Esprit de la Constitution : une réponse aux aspirations populaires toujours trahies
L’esprit de la Constitution de 2023, incarné par son Préambule, tire sa force d’un constat : le Mali ne peut plus se contenter de réformes superficielles. Depuis 1997, nous savons que le système politique malien est défaillant aux niveaux constitutionnel et partisan. Et combien de fois avons-nous espéré que notre système partisan changerait vraiment de lui-même? Trop de fois pour croire aujourd’hui que la solution passerait par une simple réduction du nombre des partis.
Malgré les crises de 2012 et 2020, marquées par des coups d’État, une division territoriale et un rejet massif de la classe politique, notre forme de multipartisme a révélé son incapacité voire son refus catégorique de changer pour répondre aux attentes profondes de changement des maliens. Les Assises nationales puis les concertations, en recueillant les voix des Maliens, ont cristallisé cet appel à une refondation, non pas pour abolir la démocratie, mais pour la revitaliser et provoquer un électrochoc en son sein.
Cet esprit s’inspire d’expériences comme celles du Ghana post-1992 ou du Rwanda post-1994, où une nouvelle Constitution et des réformes courageuses ont permis de renouveler le multipartisme après des décennies d’instabilité. Le Ghana a su instaurer une démocratie stable, avec des alternances pacifiques depuis 2000. Au Mali, la caducité des récépissés répond à cet impératif : rompre avec un système paralysé, composé d’une majorité de partis en rupture avec le Peuple, pour bâtir un multipartisme dynamique, transparent et au service réel du peuple.
La caducité des récépissés, loin de stigmatiser des partis en particulier, offre à tous une chance de convaincre les Maliens dans un cadre renouvelé.
La refondation, au cœur du Préambule de la Constitution, n’est donc pas un slogan, mais un mandat qui exige de dépasser les intérêts partisans et de répondre à la soif de justice, de gouvernance et de réconciliation des Maliens. En 1991, la révolution du 26 mars a porté l’espoir d’une démocratie véritable. En 2023, la Constitution renouvelle cet engagement en demandant de reprendre sur de nouvelles bases. Ignorer cet esprit, c’est risquer de reproduire les cycles de crises que le peuple rejette.
Le renouveau du multipartisme est une chance plutôt qu’une menace pour les acteurs politiques et le Peuple malien. Il faut sortir des calculs et comprendre l’Esprit de la Constitution ainsi que le sens des évènements du moment. De toute notre histoire récente, jamais il n’a été aussi important de prendre du recul et d’être honnête avec soi-même. Cette nouvelle étape cruciale dans notre construction démocratique est l’occasion d’établir une jurisprudence constitutionnelle qui posera les bases d’une véritable culture citoyenne et réparera le tissu social. C’est à cela que j’appelle nos Institutions, la classe politique et tout le Peuple malien. Comme le Ghana l’a montré, des réformes audacieuses, soutenues par une volonté collective de changer, peuvent transformer un pays. Le Mali, riche de son histoire et de sa résilience, mérite ce sursaut. Les maliens sont en droit de le demander. Ne leur faisons pas croire que ce changement profondément légitime serait « illégal ».
Que Dieu guide le Mali.
Cheick Oumar Diallo
Président de Nouvel Horizon – Fasojô Sira
Citoyen malien
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